Aurélie Jean: “Les filles doivent sortir de l’idée” ce n’est pas pour moi “”
Docteur en sciences du numérique et chef d’entreprise, Aurélie Jean a eu une carrière brillante et inspirante. Rencontre éclair avec un numérique qui considère le code informatique comme indispensable pour garantir notre libre arbitre.
Aurélie Jean se définit comme une numéricienne. Spécialiste de l’étude des nombres, donc de l’analyse numérique. Cette Française, qui s’est fait les dents au célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) aux États-Unis, après avoir étudié, entre autres, àEcole des Mines de Paris, se veut multidisciplinaire. Après des recherches dans le domaine biomédical (sur le cœur et le cerveau), Aurélie Jean s’est tournée vers la finance et a fondé l’agence In Silico Veritas dans le but de développer des modèles mathématiques et numériques pour comprendre les phénomènes physiques et techniques, financiers et prévisionnels. La scientifique et entrepreneuse s’est également engagée depuis plusieurs années dans la promotion des femmes dans les métiers du codage informatique en devenant une modèle, un modèle inspirant pour les jeunes femmes entreprenant des études scientifiques.
Les freins que les filles mettent sur elles-mêmes viennent de la société, parfois de l’école, et de leur entourage direct, à commencer par la famille … puis de l’entreprise
Aurélie Jean – Vous avez raison. Même s’il faut également reconnaître que de nombreuses femmes ont travaillé aux côtés de célèbres scientifiques de l’histoire sans jamais être reconnues ou pas assez. Je pense entre autres à la physique Lise Meitner sans laquelle le scientifique Otto Hahn n’aurait jamais remporté le prix Nobel de chimie. Aujourd’hui, en France, il y a autant de filles que de garçons dans les matières scientifiques du lycée. Les filles abandonnent les sciences après le lycée. C’est une question d’appétit, mais aussi et surtout une question de confiance. Comme le disait récemment Erik Orsenna avec qui j’ai parlé sur ce sujet, les filles doivent sortir de l’idée “pas pour moi”, pour enfin dire “et pourquoi pas?”. Quant à l’appétit, il est nécessaire d’expliquer davantage le pourquoi de la science et non le comment. Les sciences dures peuvent résoudre toutes sortes de problèmes dans presque tous les domaines. La science peut également faire sa marque dans le monde en résolvant des problèmes à grande échelle et à fort impact. C’est enrichissant et intellectuellement très stimulant.
Cela dit, les freins que se mettent les filles sur elles-mêmes viennent de la société, parfois de l’école, et de leur entourage direct, à commencer par la famille… puis par l’entreprise.
Oui et non. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance parce que mon grand-père qui m’a élevé était féministe et il m’a grandement encouragé à faire ce que je voulais sans penser à mon sexe. C’est une force d’avoir une famille qui n’exprime ni préjugés ni stéréotypes. Cela dit, je me suis déjà demandé pendant mes études, puis dans mon travail, si j’étais à ma place, étant majoritairement entouré d’hommes. Heureusement pour moi, ces hommes ont été mes meilleurs supporters et mes meilleurs supporters.
J’ai réalisé que je pouvais avoir un impact positif sur les générations futures quand, demandant à une de mes étudiantes du MIT pourquoi elle n’avait pas appris l’informatique plus tôt, elle a répondu “Pourquoi pas moi. Vous ne l’avez pas vu.” La puissance de la projection est souvent sous-estimée. Séries Le jeu de la dame (Le succès de Netflix racontant l’histoire d’un jeune prodige des échecs orphelin, ndlr.) Démontre le pouvoir de l’image avec une augmentation significative de l’inscription des filles dans les clubs d’échecs.
Les IA ont des biais algorithmiques (menant à ce qu’on appelle la discrimination technologique) en raison de nos biais cognitifs. Ces biais cognitifs influencent nos choix de formation d’échantillons de données, par exemple. On peut aussi, sans y prêter attention, s’entraîner sur des ensembles de données historiques représentatifs d’une époque, mais biaisés aujourd’hui. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’il ne faut jamais transformer une représentativité statistique du présent en une condition systématique au sein de l’algorithme, au risque de stigmatiser des types d’individus et de groupes.
Nous devons ouvrir les discussions techniques aux personnes de la profession où l’algorithme est appliqué, nous devons nous assurer que différentes personnes travaillent ensemble et que cette diversité d’expériences, de points de vue et d’individus devienne un catalyseur pour des outils de développement inclusifs. Comme je le dis souvent, nous devons construire une IA pour tout le monde et par tout le monde.
Pour de plus amples
Nous vous invitons à découvrir le travail d’Aurélie Jean, Across the Machine – Le voyage d’un scientifique au pays des algorithmes (Éd. De l’Observatoire, 2019), qui tente de démystifier et de rendre disponibles des algorithmes, cette science qui tente de façonner notre monde pour mieux le comprendre. Une science qui prend de plus en plus sa place dans notre société et qu’il convient d’apprendre à la fois pour en profiter, mais aussi pour pouvoir mettre des garde-fous si nécessaire.